10h21

un texte extrait de "windows on the world" de frederic beigbeder. Un bouquin où il decrit minute par minute la vie d'un homme et et ses deux fils de sept et neuf ans piégés dans un restaurant pendant les attentats du WTC

un livre pas super écrit, pas super original, et pourtant il se passe quelque chose je trouve. Matmat et moi on adore le chapitre 10h21 et on voulait vous le faire partager!!

10h21

Depuis que David est mort, Jerry refuse de le lâcher, pleure sur son front froid, caresse ses paupières closes. Je me lève, le prends dans mes bras, petit prince aux cheveux doux inanimé. Jerry a lu dans mes pensées, il tremble de chagrin. Je suis épuisé de jouer les héros. Comme disait l'hôtesse d'accueil, pas formé pour. Jerry serre mon bras plus fort, de l'autre il tient la main molle de David qui pend et se balance dans le vide. Je serre ma chair d'amour dans ma chemise couverte de suie.Son petit visage noirci comme quand il faisait brûlér un bouchon de liège avec une allumette pour se déguiser en Indien, l'été 1997, au Parc national de Yosemite. Je voudraiS ne plus me souvenir, mon coeur est trop encombré. Allez, venez les garçons, on va dégager d'ici, faire ce qu'on aurait dû faire depuis longtemps: débarrasser le plancher tous les trois, on the road again, adios amigos, hasta la vista baby, la vitre est brisée, regarde par-delà les Fenêtres du Monde, regarde, Jerry, c'est la liberté ultime, let's go, non, Jerry mon héros, don't look down, garde tes yeux bleus fixés sur l'horizon, la baie de New York, le ballet des héicoptères impuissants, tu n'as pas vu Apocalypse Now, vous étiez si petits, comment les tueurs ont-ils pu, venez mes chéris, mes agneaux,vous allez voir, à côté le Space Moutain c'était du pipi de chat, tiens moi fort Jerry, je t'aime, viens avec papa, on rentre à la maison, on emmène ton petit frère, venez surfer sur les nuages de feu, vous étiez mes anges et plus rien ne pourra nous séparer, le paradis c'était d'être avec vous, prends ta respiration et si tu as peur, tu n'as qu'à fermer les yeux. Nous aussi on sait se sacrifier.
Juste avant de sauter, Jerry m'a regardé droit dans les yeux. Ce qui restait de son visage s'est tordu une dernière fois. Il ne saignait pas que du nez.
- Maman va être très triste?
- N'y pense pas. Il faut être fort. Je t'aime, mon coeur. T'es un sacré bonhomme.
-I love you daddy. Eh tu sais, papa, j'ai pas peur de tomber, regarde, je pleure pas et toi non plus.
- Je n'ai jamais connu personne de plus courageux que toi, Jerry. Jamais. Alors, t'es prêt buddy, on y va? à trois on y va?
- Un, deux... trois!
Nos bouches étaient progressivement déformées par la vitesse. Le vent nous faisait faire des grimaces inédites. J'entends encore le rire de Jerry qui serrait ma main et celle de son petit frère en plongeant dans le ciel. Merci pour ce dernier rire, oh my Lord, merci pour le rire de Jerry. Pendant un court instant, j'ai vraiment cru qu'on s'envolait.

Ps: grosses bises de matmat a tous les analogues actifs

Pps: et pan 3000 messages sur le forum bravo forumanalogue

[pas le temps, plus tard]

cool les phrases qui durent, çà passe trop.Le texte s'efface et il ne reste plus que la fatigue, le bout du bout du souffle et le courage à cet homme qui s'accroche à son fils et dont il tire ses dernières forces etc; ce chapitre est trop bon...

oui, tout le bouquin est pas aussi fort, mais ya des passages vraiment prenants!
et pourtant l'auteur ne donne jamais, mais alors jamais dans le dramatique de bas étage

il peut être cynique, mais je trouve que ça rend encore mieux son état d'âme

par exemple:

10h03

J'ai commis deux erreurs:
1) Faire des enfants;
2) Les emmener petit-déjeuner ici.

Je commence à voir les choses différemment. Non comme des évènements présents, mais déjà comme des souvenirs. C'est bizarre de tout percevoir avec cette distance que confère l'imminence d'une désintégration. Le monde est tellement plus beau quand vous n'y êtes presque plus. Je sais que je m'en souviendrai même quand je n'aurai plus de mémoire. Parce que, même après notre mort, les autres se souviendront de nous

Le monde est tellement plus beau quand vous n'y êtes presque plus


ya encore quelques chapitres que je vais poster, mais comme ils sont un peu long, patience..

8h56

Nous savons tous précisément où nous étions le 11 septembre 2001. Personnellement, je donnais une interview à Culture Pub, au sous-sol de la maison Grasset, dans les archives, à 14h56 heure française, quand l'animateur Thomas Hervé a été averti sur son portable qu'un avion venait de rentrer dans une des tours du World Trade Center. Sur le coup, nous avons pensé à un petit avion de tourisme, et continué notre entretien. Nous parlions du marketing culturel. Comment on sort un livre? Faut-il se plier aux règles du jeu, et jusqu'où? La télévision, la promotion, la publicité sont-elles des ennemies de l'art? L'écrit est-il nécéssairement antagonique à l'image? A l'époque, je venais d'accepter d'animer une émission litéraire hebdomdaire sur une chaîne câblée. Je tentais de justifier mes contradictions d'écrivain-critique-animateur:
-Le rôle des livres est d'écrire tout ce qu'on ne peut pas voir à la télévision... La littérature est menacée, il faut se battre pour la défendre, c'est la guerre... Les gens qui aiment lire et écrire sont de plus en plus rares, c'est pourquoi ils doivent jouer sur tous les tableaux...Utiliser toutes les armes dont ils peuvent disposer pour défendre le livre...
quand soudain quelqu'un de la maison d'édition est venu nous prévenir qu'un deuxième avion était entré dans l'autre tour du World Trade Center. Mes péroraisons littéraro-martiales prenaient une tournure bien ridicule. Je me souviens m'être récité à haute voix une équation mathématique assez simple (bien que peu euclidienne):
1 avion = 1 accident
2 avions = O accident
Thomas et moi somme tombés d'accord sur le fait que mon combat-en-prime-time-pour-la-sauvegarde-de-l'-art-scriptural-contre-l'-oppression-médiatique pouvait attendre. Nous sommes montés à l'étage, dans le bureau de Claude Dalla Torre, une des attachées de presse de la maison, la seule à posséder un téléviseur en état de marche. TF1 diffusat LCI qui diffusait CNN: on voyait le second avion se diriger droit sur la tour intacte, tandis que l'autre building ressemblait à une torche olympique, ou à une tornade comme sur l'affiche de Twister. Les jeunes présentateurs du J.T. semblaient incrédules. Ils ne s'avançaient pas trop, meublaient le direct, craignaient de dire une connerie qui passerait en boucle dans tous les bêtisiers pendant trente ans. Très vite le bureau de Claude fut rempli de monde: chez Grasset, le moindre prétexte est toujours bon pour ne pas travailler. Chacun avait sa façon de réagir à l'évènement.
Narcissique:-ca alors! J'étais encore là-haut il y a moins d'un mois!
Statistique:-Mon Dieu, combien de gens sont coincés là-dedans? Il doit y avoir 20 000 morts!
Persécuté:-Moi, avec ma gueule de métèque, je sens que je vais me faire beaucoup contrôler par les flics dans les semaines à venir.
Inquiète:-Il faut appeler tous nos amis là-bas pour avoir des nouvelles.
Laconique:-Ah ben ça alors, on rigole plus.
Marketing:-C'est très bon pour l'Audimat ça, faut acheter de l'espace sur LCI!
Belliqueux:-Putain, cette fois, c'est la Troisième Guerre Mondiale.
Sécuritaire:-Il faut mettre des flics dans tous les avions et blinder les cockpits.
Prophétique:-Ah ça, je l'avais bien dit, et même écrit.
Médiatique:-Oh là là, faut que j'aille vite réagir sur Europe 1.
Antiaméricain primaire:-Voilà ce qui arrive quand on prétend régir le monde.
Fataliste:-Un jour ou l'autre ça devait arriver.
Au fil des minutes, alors que nous regardions, comme hypnotisés, l'image qui repassait encore et encore de cet avion de ligne qui fonçait droit dans la tour (il ne tergiversait pas, il la visait, comme attiré par un aimant, avalé par la tour dans une boule de feu orange et noire), les blagues s'espaçaient, les êtres s'asseyaient, les portables sonnaient, les cernes se creusaient. L'ampleur de la tragédie pesait progressivement sur nos épaules. Nous devenions tous bossus. Bref, on commençait à fermer nos gueules quand un troisième avion s'écrasa sur le Pentagone. Bon sang, le ciel leur tombait littéralement sur la tête. Vous connaissez la suite: avec l'effondrement de la tour Sud et celui de la tour Nord à 16h30 heure française, le climat avait tourné à l'angoisse planétaire. J'étais tout pâle, je ne me souviens plus si j'ai dit au revoir à Françoise Verny en descendant l'escalier. J'ai dû rentrer à pied. A un moment, rue Saint-André-des-arts, mon téléphone a sonné: c'était Eric Laurrent, collègue romancier publié aux Editions de Minuit, qui venait justement de terminer un livre se déroulant aux Etats-Unis ("Ne pas toucher", désobéissez à ce titre, je vous le recommande). Il cherchait du boulot, venait m'offrir ses services pour mon émission littéraire. Je ne sais pas pourquoi, il n'était pas au courant de l'actualité.
-Excuse-moi, Eric, mais je me sens bizarre là... c'est une drôle de journée...
-Ah bon, qu'est-ce qu'il y a? Ca ne va pas?
-Euh, ben, les deux tours du World Trade Center se sont effondrées, des avions se sont crashés partout, le Pentagone brûle, tout ça...
-Non mais sans déconner, je suis sérieux, s'il y a un plan boulot je postule, je suis un peu dans la merde financièrement.
Il avait raison de ne pas parvenir à me croire. J'avais un problème de crédibilité dans tout ce que je faisais, même quand je disais la vérité. Tout ça parce que j'avais gagné une fortune en critiquant les riches. J'avais l'air d'un cynique qui se moquait sans arrêt du cynisme. Même quand je disais "je t'aime", on ne me croyait jamais. Le coup de fil suivant fut pour ma fille: je voulais juste savoir où elle se trouvait. Chloé était injoignable, sa maman avait éteint son portable. j'ai dû attendre une demi-heure avant que sa nounou ne me rappelle: la petite était au théâtre des marionnettes en train de regarder les "Trois Petits Cochons". J'ai eu de la chance: ce jour-là, aucun Boeing ne s'est écrasé sur le Jardin du Luxembourg. Au téléphone, Chloé m'a raconté le spectacle:
-C'est l'histoire d'un loup qui veut manger les petits cochons mais eux ils vont dans une maison en pierre et le loup il arrive pas à les manger.
Et j'ai pensé qu'on avait tort d'inculquer tous ces mensonges aux enfants en bas âge.

Le premier extrait m'a mis une petite remonté de je ne sais quoi qui arrive lorqsqu'on se laisse aller au fil du récit sans distance, en sachant que ce n'était pas une fiction mais une réalité l'effet en est multplié.
Le dernier extrait est assez bien, mais le premier (je l'aime, oui, je l'écris ausssi pour les personnes antismiley, je rigole (lol, spécial pour kesta))

oui moi aussi le premier je l'aime, et je le préfère de loin a tous les autres, mais je me disais que ct intéressant de voir differents aspects de son style d'écriture (yen a énormément )

frederick bei... machin truc c'est bien celui qui a écrit "nouvelles sous ecstazy" ou je me trompe ??