Phil rentra dans la chambre, pestant contre ce satané coupe-papier qu'il avait cherché en vain dans le salon et dans la cuisine. C'était sans conviction qu'il s'était introduit dans la petite pièce sombre où dormait Michael car il était sûr de l'avoir posé sur la petite table à l'entrée avec les sacs de courses. Peut-être était-il dans un de ces sacs? Le bruit crépitant du robinet qui coulait ainsi qu'une sourde lourdeur provenait de la salle de bain, où son ami finissait de se raser, non sans d'évidentes difficultés.
_"Tu sors ce soir?
_ Cà c'est clair! Je tiens pas à passer mon vendredi soir dans ce trou à rat..
_ Y aura du monde?
_ Je sais pas trop… Les gens de l'hôpital j'imagine.
_ J'arrive toujours pas à comprendre comment vous arrivez toi et tes collègues à bosser comme des acharnés, à être sur les nerfs tout le temps que vous passez ensemble et à vous voir encore lors de ces soirées d'alcoolique.
_ Le besoin de se retrouver autour d'autre chose que la souffrance sans doute.
_ On en reparlera quand j'irais te chercher dans ta gerbe tout à l'heure."
Ils rirent tous les deux, évacuant la tension que Michael n'avait pas manqué de provoquer entre eux deux. Il avait eut l'air assez énervé toute la semaine, sans que personne autour de lui ne sembla savoir pourquoi. Du moins c'est ce que Phil croyait. Et puis tant pis pour le coupe-papier, se dit-il, je prendrais un ciseau.
Hier, Anne l'avait appelé pour lui demandé si elle pouvait passer la nuit chez lui, s'étant disputé ("embrouillé" pour reprendre ses propres termes) avec sa mère et ne dédaignant pas l'aile protectrice qu'il semblait disposé à lui accordé.
La dernière fois que Phil avait vu sa fille, elle lui avait reproché son égoïsme et l'attitude "déloyale" qu'il entretenait avec son ex-ex-femme, sa mère et s'était réfugiée chez sa tante, laquelle ne manquait pas de lui rappeler ses devoirs de père dès qu'elle en avait l'occasion. Elle lui imposait même ses coups de fils insupportablement longs et cruels au boulot. La secrétaire lui disait avec une voie mielleuse, le sourire en coin :" C'est pour vous Phil ".Et ça ne ratait pas, encore cette vieille jalouse stérile qui se prenait pour une mère merveilleuse à qui la vie n'avait pas souhaité accorder la chance de pouvoir procréer. Il faut que j'arrête avec ce genre de mots, se dit-il en y repensant, Anne est très attentive à ce genre de détails. Ou peut-être n'était-ce pas un détail. N'empêche, Anne arrivait ce soir, et il n'avait aucune idée de la tournure que prendrait les évènements cette fois-ci. Par événement, il entendait chaque parole, chaque regard qu'il pouvait adresser car Anne était tout le temps sur la défensive ces derniers temps. On ne pouvait rien lui dire sans qu'elle ne s'énerve et prenne ce ton vindicatif que Phil exécrait, le reconnaissant aussitôt comme étant celui de sa mère dans pareilles situations. Il le savait, mais il n'y pouvait rien, comme si la fatalité de cette pensée l'eut résigné dans une ironie sombre. Et détestable, comme le lui rappelait si souvent la tante d'Anne.
Vingt heures trente, toujours aucun signe de vie. Michael semblait s'attarder dans la chambre, alors qu'il devait déjà être en retard. Il avait l'air trop grand, trop costaud pour cet appartement et pourtant en le regardant là, assis sur le bord du grand lit dans lequel il dormait chaque nuit, il faisait à Phil l'effet d'un chaton apeuré par le grand bain du jour; si doux mais l'air si bête! Je lui demandai ce qu'il fabriquait encore ici.
_"Phil… Tu sais cette fille que j'avais rencontrée à Paris, lors du..
_ Maryse
_ Oui c'est ça, Maryse. Je viens de l'avoir au téléphone. Elle a été très compréhensive tu sais, alors que pourtant c'est moi qui devrais…, enfin je… en tout cas elle a du courage, à ça oui! du courage elle en a…
_Qu'est-ce qu'il y a?
_ Elle est enceinte Phil."
Et voilà. C'était la dernière soirée que je devais passer avec Michael et sans le savoir il venait de me faire comprendre ce que quatorze années de paternité n'avaient pas su m'expliquer. Demain il s'en irait pour Paris et je ne le reverrais plus.
Demain je me réveillerai dans les bras de ma fille et plus rien ne sera comme avant.
NICO